dimanche 12 juillet 2009

Sommes-nous des dégénérés ?

Un excellent article de monsieur Duteurtre que je viens de retrouver sur le web (Bakchich.info). Il n'y a rien à rajouter, si ce n'est que... "Y'en a marre de passer pour les dégénérés que nous ne sommes pas" ou du moins "que je ne veux pas devenir!!!"

L’autre jour à la télévision, une femme politique s’intéressait à la vie quotidienne des « mamans » ; elle répéta le mot pas moins de dix fois. Sur une autre chaîne, un présentateur de magazine « people » recevait des stars ; et dans l’interview qu’il accordait à un vieux cinéaste, il revenait sur ses débuts en lui demandant, comme s’il parlait à un enfant : « Aviez-vous une relation privilégiée avec votre papa ? »

Peut-être les historiens de la langue constateront-ils que la première décennie du XXIe siècle fut marquée par la disparition, en France, des mots « père » et « mère », remplacés par l’usage presque exclusif de « papa » et de « maman ».

Lorsque j’étais enfant (il n’y a pas si longtemps, dans les années soixante-dix), l’un des signes de maturité auquel chacun s’attachait, dans les conversations avec ses copains, consistait à abandonner progressivement ces termes puérils. On préférait dire « mon père » ou « ma mère », qui, par leur sonorité moins sentimentale, marquaient le début d’une prise de distance et l’affirmation d’une individualité.

Aujourd’hui, le contraire semble se produire. Tout nous incite à cultiver la « part d’enfance » qui subsiste en nous, en prolongeant indéfiniment le langage des tout petits. Les médias audiovisuels, censés s’exprimer avec naturel, anticipent cette révolution qui leur convient comme un gant : elle renforce l’impression que nous nous ébattons tous ensemble dans une grande cour de récréation.

A réalité obscène, langage infantilisant

Le radotage psychologique, infiltrant tous les registres de la pensée, y est probablement pour quelque chose : il a généralisé l’idée que nous sommes, jusqu’à la mort, de grands enfants, attachés aux joies et aux traumatismes de nos premières années, grandissant et souffrant dans l’ombre de nos « papas » et de nos « mamans ».

La politique n’y est pas non plus étrangère : car aucune voix ne manque pour applaudir les beautés de la famille cellulaire, celle qu’on fuyait hier le plus vite possible, et dans laquelle Tanguy reste désormais le plus longtemps possible, comme une dernière petite barque survivant au naufrage des religions, des nations et des cultures. De leur côté, les défenseurs de l’homoparentalité se désignent toujours comme des « papas » et des « mamans », plutôt que des pères et mères, pour souligner le côté doucereusement familial de leur différence.

L’esthétique y a également sa part, lorsqu’elle s’évertue à transformer la vie sur cette planète ravagée en dessin animé dégoulinant de sentiments et de spontanéité, où les adolescents boutonneux sont des « jeunes », tandis que les vieillards gâteux deviennent d’adorables « papys » et « mamys », au « y » tendre comme un feuilleton américain.

À la force et à la raison qui nous ont fait tant de mal, ce monde préfère le sourire, la compassion et parfois la colère. Ségolène Royal a bâti sa carrière politique en se présentant comme une maman de secours pour soixante millions de petits Français déficients. Le triomphe de la maternité sur la société est en marche ; et les mâles repentis y contribuent sur les plateaux télé où on leur parle comme à des nourrissons, puis dans les salles de bains où ils changent les couches-culottes pour montrer qu’ils ont compris leur faute et sont devenus eux aussi de vrais « papas ».

Monsieur Benoît Duteurtre est écrivain et journaliste. Il est également l’auteur des Pieds dans l’eau chez Gallimard et prix Médicis en 2001 pour Le voyage en France chez Gallimard. Il vient de publier Ballets roses chez Grasset.

Non!

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